vendredi 23 juin 2017

La bilinguisation croissante des cégeps : le cheval de Troie

Extraits d’une chronique de Michel David dans Le Devoir.

Jugeant la mesure politiquement trop risquée, Jean-François Lisée a renoncé à étendre au cégep les dispositions de la Charte de la langue française qui régissent l’accès à l’école primaire et secondaire anglaise. Pendant ce temps, on assiste à une constante progression du bilinguisme dans le réseau collégial français, qui est en voie de devenir un véritable cheval de Troie linguistique.

Le gouvernement Charest avait déjà autorisé le cégep de Saint-Laurent et son voisin anglophone, le collège Vanier, à instituer des programmes bilingues de sciences humaines et de sciences de la nature, qui ont accueilli leurs premiers étudiants à l’automne 2013. Dans le secteur privé, les collèges Brébeuf et Marianapolis avaient déjà établi une collaboration de ce genre.

Le collège de Bois-de-Boulogne offrira à son tour un programme de DEC bilingue en sciences de la nature conjointement avec l’autre grand établissement anglais de niveau collégial à Montréal, le collège Dawson, à compter de l’automne 2018. Les grandes lignes en ont été arrêtées à l’occasion d’une réunion tenue le 23 mai, dont Le Devoir a obtenu un compte rendu. Les cours de chimie et de biologie seraient donnés à Bois-de-Boulogne, ceux de physique et de mathématiques à Dawson.

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Le phénomène n’est pas que montréalais. À Québec, où la population anglophone est d’à peine 1 %, le collège Saint-Lawrence déborde et doit refuser plus de la moitié des demandes, alors que les trois cégeps francophones ont perdu 13,5 % de leurs effectifs en quatre ans, rapporte L’aut’journal dans son dernier numéro. Le collège Mérici, qui est privé, offre déjà un DEC bilingue et le cégep de Sainte-Foy a annoncé son intention d’augmenter le nombre de cours offerts en anglais.

Chaque année, quelque 4000 francophones et allophones passent du secondaire français au collégial anglais, soit l’équivalent d’un gros cégep, ce qui fait dire au mathématicien Charles Castonguay que le libre choix au cégep est un « suicide linguistique ». Plus de la moitié des étudiants des cégeps anglais ne sont pas des anglophones. Est-ce bien le rôle du réseau français que de favoriser cette course au bilinguisme ?

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Sans être automatique, il y a manifestement une incitation à adopter au travail la langue dans laquelle on a été formé. Comment convaincre les nouveaux arrivants et les petites entreprises de l’importance de travailler en français si les francophones de souche et les allophones déjà installés ici se mettent à l’anglais ?

Le gouvernement Marois n’avait pas voulu révoquer l’autorisation que son prédécesseur libéral avait accordée au cégep de Saint-Laurent. La possibilité qu’elle soit un jour étendue à d’autres établissements du réseau public était une « question hypothétique », disait-on. Une évaluation devait être faite à l’été 2015, mais le PQ a été renvoyé dans l’opposition dès le printemps 2014.

Ce n’est certainement pas le gouvernement Couillard qui va s’opposer à des initiatives qui correspondent parfaitement à sa vision du Québec de demain [note du carnet : de plus en plus bilingue et multiethnique]. Le Premier ministre l’a répété la semaine dernière : selon lui, aucune menace ne pèse sur le français. Dès lors, pourquoi empêcher la jeune génération de « s’ouvrir sur le monde », n’est-ce pas ? [Note du carnet : comme si le français, langue parlée ou comprise par des centaines de millions de personnes, enfermaient les francophones. Comme si les traductions n’existaient pas. Que dire des anglophones unilingues du Canada ou des États-Unis, sont-ils enfermés et peu ouverts sur le monde ?]

L’idée de faire du cégep une sorte de carrefour n’est pas mauvaise en soi. En 2001, le rapport de la Commission des états généraux sur l’avenir du français avait proposé d’en faire « un lieu d’approfondissement de la culture québécoise et de perfectionnement des langues » en multipliant les échanges de groupes d’étudiants francophones et anglophones.

La Commission avait rejeté l’extension de la loi 101 au niveau collégial, mais les cégeps anglophones ne connaissaient pas la popularité d’aujourd’hui. Certes, il faut répondre au désir légitime de maîtriser l’anglais, mais ces échanges seraient moins inquiétants si l’obligation de s’inscrire à un cégep francophone assurait un tronc commun et un environnement francophone de base.

[Note du carnet : plus aucun politicien ne semble vouloir renforcer le français au Québec, pourtant l’État québécois devrait promouvoir le français alors que l’administration au Québec est dans les faits bilingue.]

Jean-François Lisée craint de s’aliéner les jeunes et la « diversité », qui sont devenus une véritable obsession au PQ. [Note du carnet : il faudrait voir qui sont ces jeunes, ils sont peut-être justement souvent des enfants de la Loi 101... La loi ne peut pas tout même si elle pourrait plus, mais l’immigration importante de non-francophones a sans doute un effet démobilisation dans le dossier de la défense du français au Québec.]

Il est vrai que les sondages sont inquiétants, mais ce n’est pas en sacrifiant l’essentiel au clientélisme qu’il va se refaire une crédibilité. Les délégués au congrès de septembre prochain devraient y réfléchir. Où en serait le Québec si le PQ avait été aussi timoré il y a quarante ans ?

Voir aussi

Cégeps : légère baisse chez les francophones, légère hausse chez les anglophones

Québec — Le français des étudiants en perdition ?

Québec — Triplement du nombre d’heures d’anglais en une trentaine d’années

De plus en plus de bilingues au Québec, de moins en moins au Canada (Le Canada de plus en plus « fermé » ou simplement de plus en plus dominant ?)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La solution est simple : autoriser seulement les étudiants qui maîtrisent déjà le français (moyenne de 80 % ou plus au secondaire) à pouvoir choisir le réseau anglo ou franco de Cégeps. Les autres devront continuer de travailler à l'amélioration de leur français dans les Cégeps francophones (il faudrait donc continuer d'enseigner la grammaire, l'orthographe, etc. au Cégep, au lieu d'enseigner la poésie, littérature, la communication, etc.)